Vers l'échec de la Conférence

3/4/1947

(De notre envoyé spécial à Moscou, Georges Le Brun Keris)

La presse soviétique évolue curieusement depuis quelques jours. Les interminables comptes-rendus du Conseil des Quatre sont remplacés par des communiqués chaque jour plus violents contre les Anglo-Saxons. Seule la France est épargnée, même lorsqu'il s'agit de thèses auxquelles nous sommes plus fermement attachés que les Américains ou les Anglais comme le fédéralisme. On a l'impression que le Gouvernement Russe prépare son opinion à l'échec de la Conférence et qu'il veut en rejeter les responsabilités sur ses deux partenaires.

Ces articles sont amusants à confronter avec ceux parus ici lors de notre arrivée. On y présentait le succès de la Conférence comme certain, et l'on qualifiait le pessimisme de réactionnaire. Que s'est-il passé entre temps ?

La vérité, semble-t-il, est que les Américains ont valsé exagérément sur cette volonté russe de voir la Conférence réussir. Le général Marshall a cru que M. Molotov, engagé en quelque sorte par le fait que la Conférence se déroulait à l'ombre du Kremlin, serait prêt à toutes les concessions même dans le domaine des réparations. Voilà pourquoi il a voulu ouvrir de façon si prématurée, le cycle de conférences secrètes. Mais c'était sous-estimer les besoins de l'URSS en biens de consommation.

Telle est l'histoire de cette Conférence dont la réunion secrète de mardi marque le point culminant. Peu à peu, on commence à savoir ce qui s'y est dit. On sait surtout que la dernière phrase du communiqué doit être prise dans un sens absolu : On n'est parvenu à aucun accord. Dès lors, à moins d'un renversement toujours possible, mais non probable, la Conférence va vers un échec, celui-ci fût-il voilé de décisions de principe et de formules diplomatiques.

Pour moi, je pense qu'on ne doit pas le regretter. En effet, ces problèmes de niveau industriel, exportations industrielles, réparations, ont un caractère technique. Si on prétend le résoudre uniquement par la politique, on n'aboutira jamais. La seule formule sage serait de déterminer de façon précise, scientifique, ce que l'Allemagne peut payer grâce à ses exportations, et pour financer ses importations et pour acquitter ses réparations.

Si cette décision proposée par M. Georges Bidault, était prise, le mot échec ne conviendrait plus à la Conférence de Moscou, aussi négatif qu'en soit le résultat, car on aurait au moins réalisé les conditions de succès des conférences ultérieures. Et puis, entre temps, les chancelleries pourraient préparer un accord politique pour résoudre l'ensemble des problèmes. De toute façon, la Conférence ne devrait plus durer longtemps. On parle de plus en plus de la date du 15 avril pour sa fin. D'ici là, les ministres vont procéder à un examen probablement superficiel des autres questions à l'ordre du jour, puis ils liquideront, s'ils peuvent, le traité autrichien. Toutefois, M. Molotov a pratiquement lié la question des biens allemands en Autriche, à celle des réparations de l'Allemagne. Dès lors, même pour ce dernier succès, les chances d'aboutir sont minimes. Si un renversement de dernière heure est toujours possible, selon les plus nombreuses probabilités, aucun engagement concret ne sortira de la Conférence de Moscou.